Autonomie en vol pour les pilotes sourds : Concevoir une interface sensorielle pour une aviation inclusive
Contexte et problématique
Aujourd’hui, dans les espaces aériens contrôlés, les pilotes de loisir sourds (appelés pilotes HSI) doivent impérativement être accompagnés d’un copilote entendant pour pouvoir voler en toute légalité. Ce copilote joue un rôle d’interprète en retranscrivant, sur une ardoise, les instructions transmises par la tour de contrôle via radio, puis en les montrant au pilote sourd. Ce processus très rustique et contraignant limite fortement leur autonomie et complexifie leur expérience de vol.
L’objectif de ce projet était de concevoir un système de communication alternatif permettant aux pilotes sourds de recevoir ces instructions en temps réel, sans assistance extérieure, tout en garantissant un niveau de sécurité optimal.
Exploration et recherche utilisateur
Nous avons mené une approche itérative centrée sur l’utilisateur, intégrant des phases de tests en simulateur, sur notre dispositif au sol (que nous avons nommé “Pédi-Avion”), et en conditions de vol réelles.
Nos premières hypothèses ont porté sur un affichage tête haute (HUD), mais cette solution s’est révélée inadaptée : en vol, l’attention nécessaire pour lire les informations visuelles induisait une perte d’altitude plusieurs mètres, compromettant la stabilité de l’appareil.
Nous avons alors exploré d’autres canaux sensoriels et formulé une nouvelle hypothèse : si la vision est déjà sollicitée pour le pilotage, pourquoi ne pas exploiter un autre sens, moins mobilisé en vol ? L’haptique s’est imposé comme une piste prometteuse.
Conception et validation des solutions
Nous avons développé un système de communication silencieuse via l'utilisation d'une veste haptique, capable de traduire les instructions radio en signaux tactiles et vibrations. L’objectif était d’élaborer un “langage” de vibrations, sous la forme d'une bibliothèque de vibrations permettant aux pilotes d’interpréter les messages de la tour de contrôle sans effort cognitif excessif.
Cependant, nos premiers essais ont mis en évidence un taux d’erreur élevé : les pilotes peinaient à associer à chaque vibration sa signification en situation de vol, en raison de la charge cognitive et du stress en cockpit.
J’ai alors proposé une révision de l’approche sémantique du dispositif : plutôt qu’une multitude de vibrations spécifiques à mémoriser, nous avons adopté un système minimaliste basé sur le contexte. Chaque vibration n’avait plus de signification absolue, mais s’interprétait en fonction de la phase de vol et de l’environnement immédiat. Cette approche s’inspire des interfaces adaptatives et des principes du design de l’expérience multi-sensorielle, où l’interprétation d’un signal s’appuie sur la cognition situationelle.
En simple, je me suis dit : "Et si on faisait un Waze de la communication silencieuse ?"
Validation et résultats
Nous avons testé cette nouvelle approche en conditions réelles :
• Phase 1 : Test au sol sur notre simulateur Pédi-Avion pour valider l’ergonomie de l’interface haptique
• Phase 2 : Expérimentation en simulateur de vol (Flight Simulator) pour mesurer l’impact cognitif et la réactivité des pilotes
• Phase 3 : Tests en vol réel pour confirmer la fiabilité et l’efficacité du système dans un contexte opérationnel
L’évaluation a reposé sur une combinaison de méthodes qualitatives et quantitatives : auto-évaluations des pilotes, analyses comportementales, protocoles UX (dont la NASA-TLX pour mesurer la charge cognitive), et une grille d’évaluation basée sur un mosaïque interactive de données (permettant une visualisation HUD des performances et interactions en vol).
Les résultats ont validé l’efficacité du système : les pilotes sourds ont pu interpréter les instructions avec un taux de compréhension proche de 100%, sans impact négatif sur leur concentration ou leur gestion du pilotage.
Conclusion et perspectives
Ce projet démontre qu’une approche centrée sur l’expérience utilisateur multisensorielle permet de répondre à une problématique critique en aviation. L’intégration d’une interface haptique adaptative, en substitution d’une communication exclusivement auditive, ouvre des perspectives vers une aviation plus inclusive, sans compromis sur la sécurité.
Les prochaines étapes incluent un approfondissement de l’optimisation du feedback sensoriel, ainsi qu’une évaluation sur des vols longue distance pour affiner l’expérience utilisateur dans des scénarios variés.